Toutes les bonnes choses ont une fin. Voici déjà ma dernière invitée pour cette série d'interview. Dernière, mais non des moindres. Vous avez peut-être entendu dire, comme moi, que derrière certains éditeurs se cachent des auteurs ratés. Si cette règle était vraie, elle en serait une exception. Elle a déjà cinq romans à son actif et travaille en freelance pour plusieurs éditeurs différents. J'ai le grand plaisir d'accueillir Agnès Marot.
F.
Ash - Bonjour Agnès, merci de m'accorder cette interview. Pour commencer,
peux-tu te présenter ?
A.
Marot -
Bonjour !
Agnès Marot, éditrice freelance le jour,
auteure jeunesse la nuit. (Nan, je rigole, je dors la nuit, comme tout le
monde !)
J’ai cinq romans à mon actif, dont le
petit dernier, I.R.L., qui vient de
sortir aux éditions Gulf Stream. Le premier, De l’autre côté du mur, est paru en septembre 2013 aux éditions du
Chat Noir. En tant qu’éditrice, j’avoue avoir perdu le compte, mais on va
détailler ça dans les prochaines questions, si j’ai bien compris !
F.
Ash - Tu as la particularité d'avoir la double casquette d'auteure et
d'éditrice. Pour quelles maisons as-tu déjà travaillé et pour qui travailles-tu
en ce moment ?
A.
Marot -
Comme éditrice, j’ai aussi plusieurs casquettes :
-
Celle de directrice de collection, que je porte pour les éditions Scrineo
-
Celle d’assistante éditoriale, que je porte le plus souvent. J’ai travaillé
pour Gründ, Hatier et PaniniBooks, et travaille encore pour
Bragelonne/Milady/Castelmore/Hauteville, Iggybook Studio, ainsi que d’autres
missions plus ponctuelles.
-
Celle de correctrice, que je porte actuellement pour Hachette Jeunesse, et que
j’utilise occasionnellement pour des missions ponctuelles.
Il
m’arrive également de travailler pour des particuliers.
F.
Ash - Tu es freelance, ce qui signifie que tu travailles par contrats.
Est-ce un choix de ta part pour conserver la liberté de ton emploi du temps ou
est-ce parce que, dans le monde de l'édition, il est très difficile d'obtenir
un travail à temps plein en CDI ?
A.
Marot -
Les deux, mon capitaine. Au départ, c’était parce que je ne parvenais pas à
trouver de CDI dans la branche qui me correspondait ; je faisais des
missions « en attendant »… jusqu’au jour où il s’est avéré que je
pouvais en vivre. Depuis, j’ai arrêté de chercher et j’y ai trouvé de nombreux
avantages (la liberté, oui, mais aussi la diversité de projets proposés, les
nombreux interlocuteurs que je rencontre), même si je ne suis pas opposée à
l’idée d’intégrer officiellement une maison d’édition. En somme, je n’avais pas
forcément pensé à vivre de cette façon quand je faisais mes études – et pour
cause, le métier de freelance n’existait pas vraiment dans ce secteur –, mais
je m’y trouve bien.
F.
Ash - Quand on regarde la répartition du prix de vente d'un livre, on
s'aperçoit que l'auteur est souvent le parent le plus pauvre de la chaîne. En
parallèle, on voit certains éditeurs se lancer et ne pas survivre plus de
quelques années. Quelles sont les pressions qui pèsent sur les épaules des
éditeurs et les met en difficulté ?
A.
Marot -
La diffusion/distribution ! Pour être bien diffusé (donc visible par un
lectorat qui ne nous connaît pas encore), il faut avoir un représentant qui
pourra passer dans les librairies et promouvoir le roman avec chaque
libraire ; mais il faut aussi être capable d’assumer une grosse mise en
place, et donc d’imprimer le roman en de nombreux exemplaires pour qu’il soit
présent dans les librairies.
Cela coûte très cher et, si les
libraires ne vendent pas tous les romans, ils peuvent les renvoyer à l’éditeur,
qui doit alors rembourser les invendus. Il faut donc avoir une grosse
trésorerie pour assurer la diffusion/distribution, et c’est souvent trop risqué
pour les petits éditeurs, qui risquent de couler leur maison s’ils font un seul
mauvais choix.
F.
Ash - En tant que directrice de collection chez Scrineo, est-ce qu'il
t'arrive de t'intéresser à des romans autoédités et de tenter de convaincre
leur auteur de te rejoindre ? Pour quelle(s) raison(s)
A.
Marot -
Certains auteurs autoédités me contactent pour que je lise leur manuscrit,
auquel cas je lis toujours ce qu’on me présente, bien sûr. Mais je ne vais pas
« à la pêche » aux manuscrits autoédités, d’une part parce que je
préfère que le roman soit encore inédit, d’autre part (et surtout) parce que je
n’ai pas du tout le temps de faire le tri parmi toutes ces publications, même
s’il y en a certainement de très bonnes. J’ai déjà du mal à lire tout ce qu’on
m’envoie spontanément !
La bibliothèque des livres sur lesquels Agnès a travaillé en tant qu'éditrice.
F.
Ash - L'autoédition s'est beaucoup développée ces dernières années, au
point qu'au salon du livre de Paris cette année, les autoédités avaient leurs
stands. Sont-ils une concurrence et une menace pour l'édition classique comme
certains le prétendent ?
A.
Marot -
Je ne le vois pas comme ça – tout comme je ne pense pas que le livre numérique
soit une concurrence au livre papier. Ils ouvrent les possibilités de la
lecture et de la diffusion, permettent de proposer des offres plus diversifiées
et adaptées à chaque type de lecteur. La démarche est différente : ils
vendent leurs propres ouvrages, leur propre marque, en quelque sorte, tandis
qu’un éditeur proposera plusieurs auteurs selon une ligne éditoriale définie
par une équipe. Un lecteur qui achètera un roman d’autoédition pourra aussi
acheter un roman publié en édition classique, et inversement.
F.
Ash - Je vais t'inviter à changer de casquette, si tu veux bien. En tant
qu'auteur, tu as publié ton premier roman chez Armada, un éditeur connu pour sa
propension à adopter des ovnis littéraires. À cette époque, avais-tu envisagé
de t'autoéditer ? Pourquoi ?
A.
Marot -
Non ! Pour la simple raison que je n’avais ni le temps ni les moyens (ni
l’envie, j’avoue) de faire ma promotion, et que je n’aurais donc pas pu donner
une vraie vie au roman. Je préférais me consacrer à l’écriture d’autres romans,
quitte à laisser celui-ci dans un tiroir s’il ne trouvait pas chaussure à son
pied, au moins pour le moment. Heureusement, je n’ai pas eu à le faire !
F.
Ash - Ton cinquième roman, "I.R.L." vient de paraître chez Gulfstream. Tu vas bientôt publier ton sixième roman, que tu appelles sobrement
"projet secret" pour les éditions Playbac. Il n'y a qu'avec le Chat
Noir que tu as déjà travaillé à deux reprises pour De l'Autre Côté du Mur et Notes
Pour Un Monde Meilleur qui en est la préquelle. Est-ce une volonté délibérée de
changer à chaque fois d'éditeur, ou est-ce une question d'opportunité ?
A.
Marot -
Plutôt une question d’opportunités… et de ligne éditoriale. J’écris des romans
très différents les uns des autres et pas toujours pour le même public ;
ils ne peuvent donc pas tous être publiés chez le même éditeur. Mais si j’ai
l’opportunité de publier un autre roman chez mes éditeurs actuels, je ne m’en
priverai pas !
F.
Ash - Si un jour tu écrivais un roman qui entre dans la ligne éditoriale de
la collection que tu diriges, le proposerais-tu à Scrineo ?
A.
Marot -
Tout à fait. Bien sûr, ce n’est pas moi qui dirigerais les corrections si le
roman leur plaisait (je ne suis pas assez schyzo pour ça !), mais c’est
une maison d’édition qui me tient à cœur et dont j’admire le travail, aussi ce
serait vraiment une belle aventure de publier chez eux à mon tour.
Cela dit, si tu m’avais posé la même
question l’an dernier, j’aurais sûrement répondu autrement : je ne voulais
pas mélanger mes deux casquettes. Maintenant, j’ai pris assez d’assurance, je
pense, pour tenter l’aventure !
F.
Ash - De tes deux casquettes, laquelle est la plus agréable à porter ?
A.
Marot -
J’aime autant l’une que l’autre, pour des raisons différentes. J’aimerais quand
même trouver un peu plus de temps pour écrire, mais je ne lâcherais l’édition
pour rien au monde !
F.
Ash - Lorsque je t'ai proposé cette interview, tu m'as avoué d'emblée ne
pas avoir envie de ne vivre que de ta plume. Pourquoi ?
A.
Marot -
Parce que j’adore l’édition, d’une part. C’est un métier où on rencontre
énormément de gens, de sensibilités ; où on travaille pour rendre des
lecteurs heureux. Et ça, c’est quand même super cool.
D’autre part parce que je ne veux pas
dépendre financièrement de l’écriture, pour ne pas me retrouver obligée
d’écrire pour pouvoir manger ou payer mon loyer. Je veux garder ma liberté
créative, passer deux ans sur un projet si j’en ai besoin, refuser une commande
si elle ne me parle pas. C’est déjà très difficile d’attendre les réponses des
éditeurs en temps normal, alors si je devais en dépendre pour vivre, mes nerfs
ne le supporteraient pas ! J
Et puis, pour écrire, j’ai besoin de
nourrir mon imagination, et pour ça j’ai besoin de vivre autre chose. Un métier
au contact des gens, des univers, m’apporte aussi cet aspect de la création que
j’aurais plus de mal à trouver toute seule.
F.
Ash - Merci beaucoup Agnès. Je te souhaite plein de belles rencontres
éditoriales et tout le succès que tu mérites avec tes prochains romans.
A.
Marot - Merci à toi, Francis ! Ce fut un
plaisir !
Pour lire les interviews de mes autres invités :
Encore une interview très intéressante.
RépondreSupprimerJe trouve que tu as un vrai talent d'interviewer : tu sais poser les bonnes questions...
Pour clôre la série, il me manque encore un article : ton interprétation / tes réflexions personnelles à toi sur tout ce qui t'a été dit... ;)
C'est prévu, mais je prends le temps de bien y réfléchir ;)
SupprimerAh, et tu devrais mettre les liens vers les autres interviews, j'ai du mal à les retrouver... ;)
RépondreSupprimerOui, tu as raison, d'autant que je n'avais pas mis ces articles dans les catégories existantes. Je m'en occupe, merci pour la suggestion :)
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