Selon plusieurs auteurs qui prennent de leur temps pour donner quelques conseils aux amateurs, "lis beaucoup, écris beaucoup" est la règle d'or. Incontournable, indispensable même si elle ne se suffit pas à elle-même, cette règle a été prononcée, entre autres, par Stephen King ou Sire Cédric.
Pour ma part, je retenais surtout le "écris beaucoup". J'avais bien conscience - et j'ai toujours bien conscience - qu'on perd beaucoup de sa capacité à écrire quand on ne pratique pas. Un style, ça demande du travail, le même genre de travail que pour la pratique d'un instrument de musique. Ne touchez pas à votre guitare (ou autre) pendant plusieurs mois, vous vous rendrez compte en un éclair que vous ne faites plus corps avec elle. Il vous faut du temps pour vous réapproprier le manche, la sonorité des cordes, la place exacte des frets. Bien sûr, vous savez encore jouer, mais avec moins de facilité, de fluidité, de précision. Quelques couacs désagréables s'invitent dans la partition, alors que vous ne les auriez pas produits avant.
Quand on écrit, c'est la même chose. Les mots sont plus hésitants, les verbes ternes s'invitent dans le récit, les descriptions n'ont plus le même relief. Ce n'est pas mauvais, mais c'est moins bon.
Pour cette raison, quand j'ai repris l'écriture, j'ai eu à cœur de ne plus la lâcher. Lire ? Oui, j'aime beaucoup lire. Mais ça prend du temps. Pire : ça rogne le temps que je consacre à l'écriture ! Alors, tant pis, j'ai décidé de me passer de lecture pendant "quelques temps" pour écrire davantage.
En soi, ce calcul n'était pas mauvais. Je pense même que, dans une certaine mesure, il m'a été profitable. Je n'ai pas non plus arrêté toute forme de lecture pendant les 18 mois qu'a duré cette phase ! De toute façon, je n'ai jamais été un lecteur de compétition. Je voue une admiration sans borne à celles et ceux qui peuvent lire 50, 80 ou 100 romans par an, entre autre parce que je ne m'en pense pas capable.
Tout le problème est là : lire me donne une envie d'écrire qui ne fait que se renforcer à mesure que j'enchaîne les lectures. Le moment vient donc très vite où je pose le bouquin dans lequel je m'absorbais - si possible, après l'avoir fini - pour me ruer sur mon clavier et reprendre un des récits qui trotte dans mon esprit. Il y en a toujours au moins un et, la plupart du temps, plusieurs.
Ces jours-ci, je découvre que lire, à certains égards, est comme écrire ou jouer de la guitare. Quand on ne pratique pas pendant quelques temps, la sensation n'est pas la même. Le plaisir de la lecture est intact, l'immersion dans le récit se produit toujours (heureusement !), mais l'analyse qu'en tant qu'auteur, je peux faire du récit, est plus difficile à déclencher. Sur les deux premiers livres que j'ai lu et chroniqué récemment, il aurait fallu que je me force pour y parvenir. Ce n'est que maintenant, alors que j'entame mon troisième livre à la suite - "Docteur Sleep" de Stephen King - que ce réflexe me revient sans effort. Non seulement j'apprécie l'histoire que je lis, mais en plus, je comprends pourquoi. Je vois une partie des astuces de l'auteur, je parviens à démonter quelques-uns de ses mécanismes et à me dire que, pour parvenir à un résultat aussi efficace, il faut que je m'y prenne de telle ou telle manière.
Ce qui m'amène à me dire que j'ai sans doute négligé à tort le "lis beaucoup". Outre remuer Mme Muse (même si la mienne n'a pas besoin de ça, c'est une agitée de naissance), une lecture régulière permet une analyse des romans qui nous plaisent - ou pas. À condition quand même de savoir mettre des mots sur ce qu'on décortique. Si je n'avais pas appris autant de notions sur l'écriture et ses mécanismes depuis que j'ai plongé dans la mare, l'essentiel de ce que je parviens à identifier m'aurait échappé, faute de pouvoir comprendre. Sans doute est-ce pour ça que j'avais choisi de mettre la lecture de côté.
Me reste toutefois un problème insoluble : le temps. Impossible de le ralentir, il poursuit sa course au même rythme que d'habitude. J'ai beaucoup à faire ces jours-ci avec 3 nouvelles à réviser en profondeur (recycler, si vous préférez), 2 autres à écrire et, très bientôt, grâce à l'énergie de mes deux alphettes de choc, un roman à corriger - et que je dois pitcher. J'ignore encore l'ampleur de ces corrections, mais je ne m'attends pas à de la simple cosmétique.
Sans oublier qu'à la base, je voulais écrire trois nouveaux romans cette année, avant de me résigner à n'en écrire que deux.
Je crois donc que je vais me permettre de remplacer le "lis beaucoup" par "lis régulièrement". Si je parviens à engloutir un roman toutes les deux semaines, le mécanisme d'analyse devrait continuer à fonctionner ; je ne lirai pas uniquement pour le plaisir, mais aussi pour m'améliorer. Un roman toutes les deux semaines, ça reste tout à fait gérable, même avec tout ce que j'ai prévu et envie d'écrire. Ça ne fera que 25 livres par an, mais pour un hyperactif comme moi, qui malgré les années est quasiment incapable de tenir en place, c'est déjà bien !