samedi 12 décembre 2015

Ne plus écrire en "tell"

Quand j'ai débarqué sur le forum Cocyclics, une des premières choses dont on m'ait parlé, c'est la différence entre le "show" et le "tell".
Pour être plus précis, je ne sais plus quel membre du forum m'a signalé, à propos d'un passage assez long d'une de mes nouvelles de l'époque, que c'était très "tell".
Tell, rien à voir avec Guillaume, j'imagine. me suis-je dit.
Pour autant, impossible de comprendre intuitivement ce que cette chère grenouille voulait me signifier.

Non, on ne parle pas de ce "Tell" là :) 


Le Tell et le Show sont très bien expliqués par de grands auteurs, parmi lesquels mon mentor, Stephen King. Je ne vous citerai pas ses propos, parce qu'ils sont en anglais. Et aussi et surtout parce que je n'arrive plus à mettre la main sur l'article, lu récemment, dans lequel il en parle. Mais je peux vous traduire son propos et sa pensée.
Il dit qu'il ne veut pas qu'on lui raconte (tell) une histoire, mais qu'on lui montre (show) ce qui se passe. 
Toute la différence va donc être dans la forme plutôt que dans le contenu. Par exemple, au lieu de raconter (tell) que ces deux hommes se sont retrouvés au bar du coin et ont longuement discuté en sirotant quelques bières sur le meilleur moyen d'entrer dans cette luxueuse demeure sans déclencher tout l'attirail de sécurité qui la protège, vous pouvez faire vivre (show) leur conversation.




Quand j'évoque le Tell et le Show, je sais qu'il y a des gens sceptiques. Laissez-moi, chers sceptiques, tenter de vous convaincre de l'intérêt de montrer tout ce qui est possible dans un récit, et de reléguer le "tell" a quelques passages occasionnels.

Dans l'exemple de nos deux cambrioleurs, si vous racontez leur discussion, le contenu va être très synthétique. Vous allez sans doute nous expliquer que Tom était convaincu que sa méthode était la bonne, tandis que Fred n'y croyait pas vraiment. Que Tom a dû longuement insister, développer tout un tas d'argument pour convaincre Fred. Finalement, c'est l'envie de pénétrer dans cette luxueuse demeure, un vieux rêve inassouvi de Fred, qui l'a convaincu d'accompagner Tom. Quant à son plan boiteux, il pense pouvoir le faire changer lorsqu'ils seront sur place.

Voilà, ça, c'est du tell. On se fait une idée de l'état d'esprit des deux protagonistes, de leurs motivations, mais ça reste très superficiel. 

Ce serait beaucoup plus vivant de nous faire vivre ce dialogue. On ferait plus ample connaissance avec les deux personnages, on les verrait sourire, grimacer, hausser les sourcils, on pourrait partager la discussion avec eux en s'asseyant sur la tabouret d'à côté, plutôt que de lire un compte-rendu.
Mieux : en show, l'auteur n'a pas à expliquer que Tom insiste. On le lit dans le texte. Idem pour l'envie dévorant de Fred de rentrer dans cette maison. À cette seule idée, son regard pétille et il se pince les lèvres. Il ne peut pas cacher ça à Tom. Mais finalement, Tom n'en profite pas. Tom n'est pas certain de bien comprendre ces indices non-verbaux. En revanche, il sent que c'est le moment pour lui de se taire, de laisser Fred monter en sauce tout seul comme un grand. Et c'est le moment pour l'auteur de nous immerger dans les pensées de Fred, de le faire parler à la première personne en italique.
Sans compter qu'on va rester dans ce bar pendant un certain temps. On va voir ce que les personnages voient, sentir ce qu'ils reniflent, entendre la voix cassée de grave du patron, ce type chauve à la moustache dessinée et sculptée au gel, avec ses tatouages bleus sur les avant-bras et son improbable nœud papillon. 

Le même en plus épais, tatoué, chemise noire et nœud papillon blanc. 

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais, au moins sur le papier, je préfères mille fois le deuxième version. Je n'irai pas jusqu'à écrire ce dialogue, ce serait effroyablement prétentieux de ma part. Je ne pense pas avoir assez de talent pour me livrer à ce genre de démonstration.
Toutefois, avec cette ébauche de "Show", je laisse sentir ma patte. C'est toujours plus facile d'imprimer son style, dans une scène en show que dans un passage en Tell. Tout ressort mieux, de manière plus vivante, chaque personnage amène son caractère. En comparaison, le Tell est plus terne. Le vocabulaire variera d'un auteur à l'autre, bien entendu. Mais c'est à peu près tout ce qui pourra changer. Parce que le Tell, en fin de compte, est un exercice didactique. C'est un résumé, il obéit donc à des règles, qui sont autant de points de passages obligatoires. Le Tell enferme l'auteur, alors que le Show le libère.

Alors pourquoi choisir le Tell ? 
Imaginons que notre discussion dans un bar soit une scène centrale du récit. Celle qui détermine le passage à l'acte de Tom à Fred, un moment charnière. Ce postulat interdit de passer la scène en Tell "parce qu'elle n'est pas importante". Non, on ne fait pas d'ellipse dans des moments aussi cruciaux.
Il me semble que le Tell, avec toutes ses privations et ses points à respecter, est sécurisant. C'est balisé, on ne peut pas s'y perdre. 
Je reconnais bien volontiers qu'écrire un dialogue, ça peut faire peur. Car il ne s'agit pas d'aligner les répliques en rang d'oignon. Non. Il faut donner une voix aux personnages, une contenance. Il faut aussi, pour les rendre aussi humain que vous et moi, qu'ils aient des mimiques. Parfois, ils ne diront pas tout ce qu'ils pensant. Ou ne penseront pas tout ce qu'ils disent. Fred sera peut-être distrait par le reflet dans le grand miroir du comptoir qui révèle la superbe brune, assise toute seule et qui ne décolle pas les yeux de la fenêtre. Le gros barman à la moustache d'un autre temps incitera peut-être Tom a parler moins fort, car il aura l'impression qu'il les écoute avec attention en essuyant ses verres. 
Voilà plusieurs détails qui vont rendre la scène vraisemblable, mais à incorporer en quelques pages seulement. C'est très intimidant !
Alors, on peut choisir le casque intégral, la combinaison en kevlar. C'est moche, inconfortable et même étouffant, mais ça donne une sensation de sécurité. 
Ouais.



Mais le jour où il ne s'agira plus simplement de faire du vélo, mais d'enfourcher une grosse bécane, - disons, montrer une fusillade entre Tom et Fred d'un côté et les flics de l'autre, tout en faisant partager leurs émotions et leurs propos, car bien sûr, vous n'escomptez pas nous mettre une scène pareille à la sauce Tell, c'est-ce pas ? - qu'est-ce que vous allez faire ? Déjà, les roulettes, on oublie. Le casque et le kevlar vous les aviez déjà. Vous rajouterez quoi pour vous sentir en sécurité ? Un exosquelette en titane ? L'armure d'Iron Man ?

Oui, au début, quand on fait du show, on se plante. Les dialogues ne sont pas au point, les répliques artificielles, les personnages un peu crispés, caricaturaux. Normal, c'est le début. Eddie Merckx est tombé de sa scelle un paquet de fois avant de réussir à gagner des courses cyclistes. Oui, une chute, ça pique un peu. Mais on s'en relève, on soigne la plaie et on y retourne, fort d'un enseignement supplémentaire.

J'ai remarqué ces jours-ci, en corrigeant Essence d'Asphalte, que je ne parviens plus à écrire plus de quelques lignes en Tell. Je m'ennuie en Tell ! Je peine à aligner les mots, en me disant sans cesse "mais qu'est-ce que je peux faire pour donner de la vie à ce pavé indigeste ?"
Une seule solution : me débrouiller pour passer en show. Là, enfin, je respire, je m'amuse, je me fais plaisir en écrivant. C'est grisant, le show ! Les cheveux au vent et le grognement du moteur dans les oreilles, parce que non, sur les routes littéraires, le porte du casque n'est pas obligatoire. 



Et vous, plutôt show ou plutôt tell ?

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