lundi 22 septembre 2014

Les déserts éditoriaux (Hugues frappe encore ! )

Les aventures de notre jeune ami Hugues m'ont permis de vous faire partager mes humbles connaissances du monde de l'édition en SFFF. 
Pourtant, en les relisant, je me suis aperçu qu'il manque encore beaucoup de choses dans ces deux premiers articles. Alors, je vais tâcher de compléter mon propos, et nous allons suivre Hugues, notre jeune auteur de "littérature de l'imaginaire" dans de nouvelles aventures :)

Hugues vient de fêter ses dix-huit ans. Nonobstant l'émoi que lui provoque le passage à l'âge adulte, il a pris du recul sur l'échec de l'envoi de son premier roman. Maintenant, il sait qu'il doit travailler autrement.
Le jeune homme a écrit quatre nouvelles fantastiques, mais son cinquième s'est étiré. Il avait davantage de personnages à manier, une intrigue plus complexe, mais pas encore assez pour faire un roman.
Je sens que vous commencez à percevoir le monstre qui va jaillir du placard... Ne faites pas semblant, je sais que certains parmi vous ont l'oeil pour ces choses-là.
Disons le clairement et appelons un chat un chat ( Non, Beren, je ne t'ai pas appelé... Oui brouuut aussi ! Hum excusez-moi je parlais à mon chat.)
Le nouveau récit de Hugues accuse un poids de 22.607 mots, soit 126.565 Signes Espaces Comprises... Il a écrit... UNE NOVELLA !!!


Hugues n'a pas encore osé envoyer ses premières nouvelles, créations de taille standard (entre 4000 et 6500 mots) aux appels à texte qu'il a trouvés. Il se donne le temps de les relire, de les travailler. 
Mais cette fois, son problème est différent. Comme s'il avait accouché d'un monstre effroyable... D'autant qu'on lui a déjà parlé des novellas... Ça ne pouvait être que Stephen King, hein, Hugues est toujours aussi monomaniaque.
Mais où diable ?
Pas dans "Écriture", son livre de chevet.
Anxieux, il fouille sa mémoire, puis sa bibliothèque. Un étrange son de maracas bon marché semble résonner dans son crâne quand il touche la tranche de "Différentes saisons". 
Oui, c'était là. Dans la postface de ce recueil.
"(...) il vous semble entendre une voix un peu huileuse, avec un accent à couper au couteau.
Buenos dias señor ! Est-ce que vous avez fait bon voyage avec Revolucion Airways ? Vous avez tout plein aimé, je crois, si ? Bienvenue à Novelle, señor ! Vous allez aimer tout plein je crois ! Prenez un mauvais cigare ! (...) Mettez les pieds sur votre bureau, señor, je crois que votre histoire va rester ici très, très longtemps... qué pasa ? Ahahahahah !
Déprimant."




À nouveau, alors que le son des trompettes de la Havane résonne dans ses ouïes, Hugues "El Gringo" sent le vent de l'angoisse souffler dans son cou. Madre de Dios, qu'a-t-il fait ? 
Une lecture complète et attentive de la postface de Différentes Saisons, puis du GGG le lui confirment. Il est arrivé en plein tiers-monde. Le Cuba des années 80 de la littérature. Une région pauvre, désertée, soumise à un embargo quasiment inviolable. 
King a achevé Différentes Saisons en 1982. Entre-temps, le livre numérique à fait son apparition, permettant davantage de fantaisie dans la production littéraire. Il découvre donc une poignée d'éditeurs téméraires qui acceptent de publier ces monstres hybrides, entre la nouvelle et le roman.* Mais ce n'est pas avec ce format-là qu'il touchera un large public.


On ne prendra pas deux fois notre jeune adulte (YA pour les intimes) à envoyer un manuscrit qui a les meilleures chances du monde de ne trouver aucun preneur.
D'un revers de main, il chasse l'odeur âcre de mauvais cigare qui lui flotte dans les narines et se remet à l'ouvrage. La fin de sa novella n'est pas hermétiquement close. Il peut reprendre le protagoniste principal de son histoire et lui faire vivre de nouvelles aventures.
Hugues reprend le clavier et travaille d'arrache-pied. De nouvelles idées jaillissent de son esprit, il pianote de nouvelles aventures sur son écran. En quelques mois, il développe son histoire en six différentes parties, utilisant plusieurs personnages principaux. 
Au global, cette fois, il obtient un récit d'environ 140.000 mots, soit 800.000 SEC. 
C'est mieux, lui semble-t-il. Il aimerait se féliciter mais quelque chose le gêne. 6 histoires qui se suivent, avec les mêmes protagonistes, ça ne fait pas un roman. Il vient d'écrire la première saison d'une série.
Il n'entend plus les maracas ou les trompettes de Cuba. À la place, un harmonica résonne dans sa tête !




Autour de lui : un désert de pierre et de caillasse, aride et poussiéreux. De loin en loin, quelques patelins en bois se succèdent. Un monde nouveau, en train de naître, ou il reste des places à prendre. Mais un monde dangereux, ou le moindre faux pas peut lui valoir une balle dans le coeur.
Bienvenue au Far West des séries, pied tendre !
Oui, ici on peut fêter l'achèvement de son récit avec un bon vieux tord-boyaux du Kentucky, fumer un cigarillo, mais tout se réglera sur un coup de poker.
Hugues pourra faire accepter sa série pas plusieurs éditeurs (dont Bragelonne, via sa collection Snark) mais attention à ce que les épisodes se vendent. 
Le premier sera gratuit, pour attirer un maximum de monde. Ensuite, pour que la série puisse être jugée saine et attrayante, il faudra qu'au moins 10% des lecteurs achètent les suivants.** Sinon, pied tendre, le cimetière des ratés de la gâchette est là-bas, au fond, au milieu de la caillasse ! Alors, Huguy, prêt à jouer ta peau ? Hahaha !


Une des vertus du livre numérique, c'est de permettre le renouveau de formats qu'on croyait disparus et bouffés par les vers. Les séries, ou feuilletons, qui garnissaient jadis les journaux et magasines, renaissent ainsi de leurs cendres. La présence d'un acteur de la taille de Bragelonne sur ce segment laisse augurer de bonnes choses, mais les éditeurs attendent encore LA série qui mettra le feu aux poudres, l'oeuvre incontournable qui fera sortir ce format de son anonymat actuel. 
Un presque désert éditorial, ouaip. Mais on peut s'y bâtir une place au soleil et ramasser une poignée de dollars. Reste le risque propre à toute série (par extension je parle ici aussi des séries de romans, trilogies et plus) : si le succès n'est pas rapidement au rendez-vous, au-revoir.
En attendant, Hugues va finir son whisky et remonter sur son vieux Dollar, et rentrer chez lui dans le soleil couchant, seul. Une fois encore.



*En France, on peut compter sur Voy'el, l'ivre book, éventuellement Lune Écarlate quand ils sortent des mini-anthologies, Actu SF (mais la novella de Hugues serait trop courte pour eux, à priori.) et je crois que c'est tout. Si vous en connaissez d'autres, n'hésitez pas à laisser un commentaires, señoras et señores :)
**Merci à Cécile Duquenne, auteure (entre autres) de la série Les Foulards Rouges, pour cette précieuse information !

2 commentaires:

  1. "les éditeurs attendent encore LA série qui mettra le feu aux poudres »

    Pas forcément. Stéphane Desienne a cartonné chez Walrus, Cécile Duquenne que tu cites, mais aussi « le Visiteur du Futur » chez Bragelonne : 48h00 après la mise en ligne, il y a eu 10.000 téléchargements du premier épisode, et il y a quelques jours la série était devant « Merci pour ce moment » sur la classement Amazon ! :D

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les séries fonctionnent de mieux en mieux, c'est une bonne nouvelle. Il n'y a plus qu'à espérer que de plus en plus d'éditeurs prendront le train en marche, car ils ne sont pas très nombreux pour le moment.

      Supprimer