samedi 20 septembre 2014

Des genres, des sous-genres et des lignes (Les aventures de Hugues, partie 2)

Retrouvons Hugues, jeune auteur de récits de l'imaginaire, confronté aux difficultés de l'étiquetage de son roman et aux affres du monde de l'édition.
Pour celle et ceux qui ont manqué la première partie, elle se trouve juste ici.


Puisqu'il sait maintenant que son roman est étiquetable dans la catégorie "Fantasy" et comme certains éditeurs sont susceptibles d'éditer son roman, Hugues se met en quête de l'un d'entre eux. 
Mais comment trouver ce précieux éditeur ? Jusqu'à présent, il n'a lu que du King, et ne connait que Albin Michel et Pocket, comme éditeur.
"Google est ton ami !" Lui souffle son intuition d'une voix amicale.
Un large sourire aux lèvres, les yeux déjà pétillants de plaisir, Hugues tape donc "Éditeur Fantasy" dans le célèbre moteur de recherche.

Et là...
Son destin va basculer !
*mode Pierre Bellemare histoires extraordinaires off*

En haut de page, il découvre trois annonces, et saute de joie sur sa chaise de bureau qui émet un grincement de protestation. "Chicchicchic, il y a plein d'éditeurs de Fantasy, et s'ils mettent des annonces c'est qu'ils cherchent des auteurs !" se dit-il. 
D'un geste joyeux, il clique sur le premier : "La compagnie des Écrivains" (et puis, ça pète comme nom !)
Il y découvre que son manuscrit peut être lu sous trois semaines (mais que s'il l'envoie en papier par voie postale, ce sera plus long : 2 semaines environ... Il ignorait jusqu'alors que 2 semaines, c'était plus long que 3 semaines, mais on apprend à tout âge !)*
Enthousiaste, il envoie donc son précieux manuscrit et se dit : "tant qu'à faire, je vais aussi l'envoyer à d'autres, parce qu'on ne sait jamais !" Dans la foulée, il envoie donc son manuscrit à Amlathée (qui faisait de la pub aussi), puis en suivant l'ordre des résultats de sa page de recherche, à Bragelonne (qui annonce qu'il faut parfois attendre 10 à 12 mois, ce qui ne manque pas de le faire frémir), puis les choses se compliquent. Il n'y a pas toujours une rubrique qui permette d'envoyer un manuscrit. 
Puis, il tombe sur le site d'Elbakin qui recense les maisons d'édition par ordre alphabétique. Devant cette liste à rallonge qui pourrait lui permettre de retapisser les murs de sa chambre, sa mâchoire se remet à pendouiller mollement, comme quand le libraire lui expliquait les différents genres de l'imaginaire. Il y en a vraiment tout plein, parmi lesquels Albin Michel. "Mais zalors", songe-t-il en son for égoïstement intérieur, "si il y a Monsieur Michel dans la liste, comme puis-je savoir si tous les éditeurs de cette liste acceptent les manuscrits, hein ?"
(Vous remarquerez que, malgré sa candeur, Hugues n'est pas si sot ! C'est bien mon petit, t'auras un bon point.)


Gagné par la perplexité, il prend son courage à deux mains et retourne chez son libraire, muni de la liste qu'il a imprimée sur la vieille imprimante à marguerite de Tata Rachel (avec les petits trous sur le côté, genre rouleau de PQ pour Troll) et de ses derniers trente euros, juste comme ça au cas où..
En le voyant arriver devant sa vitrine, la peau du libraire change de couleur, comme s'il s'était lavé avec du Omo-qui-lave-plus-blanc-que-blanc. Trop tard pour fermer le volet de fer, l'inénarrable Hugues pousse déjà la porte. Le libraire déglutit bruyamment devant le sourire du jeune homme, qui l'aborde avec un tonitruant : "j'ai oublié de vous demander..."
Pourtant, la conversation est beaucoup plus rapide, cette fois. Le garçon lui tend la liste des éditeurs trouvés sur Elbakin, qu'il a eu le bon goût d'imprimer et lui demande parmi ces noms, lesquels pourraient accepter son manuscrit de Fantasy, hein, dites ? 
Un éclair de génie frappe alors notre bon libraire. C'est que le jeune Hugues n'est pas le premier apprenti auteur qui vienne requérir son conseil !


Grâce à d'autres de ses fidèles clients, il sait que certains forums d'aide aux auteurs existent, et peuvent orienter sa démarche. Il se souvient même d'un guide des éditeurs de SFFF dont un auteur qui est venu en dédicace chez lui a parlé : le GGG. Mais il ne sait plus ce que cet acronyme veut dire.
Hugues repart, accompagné au pas de charge par son libraire préféré jusqu'à la porte de son commerce, fort de cette précieuse information. Oui, dites-vous bien qu'il a vraiment de la chance, sur ce coup-là ! Dès qu'il rentre chez lui, il pianote GGG sur son ami Google.
La perplexité l'envahit quand il découvre le site qui s'affiche en tête de liste des résultats, un certain "GirlsGoGame" qui ressemble à une vitrine pour poupées Barbie... Non, ça ne doit pas être ça !
Il complète sa recherche en tapant "GGG éditeurs". Une pub pour les éditions Grasset plus tard, il tombe sur le "Grimoire Galactique des Grenouilles"**, nom qui ne manque pas de le laisser perplexe.
Toutefois, la page de présentation dudit ouvrage confirme que c'est bien ce qu'il cherche : un guide qui recense les éditeurs, et propose même de l'aider à cibler ses envois. Pour la modique somme de 3 euros (en numérique, en papier c'est 5€), il se paye ledit ouvrage et commence à le compulser avec attention.


La première chose qu'il découvre, c'est que les gens qui ont écrit cet ouvrage semblent être des adorateurs des grenouilles... Il y en a sur toutes les premières pages ! Est-il tombé sur une secte bizarre ? 
Malgré ses inquiétudes, il poursuit sa lecture. Le cauchemar s'intensifie pour Hugues. On lui parle de synopsis, de lettre de présentation, de sous-genres, de lignes éditoriales, de marchés de niche (apparemment, aucun rapport avec les chiens) et de signes. 
Il se sent soudain frappé par la stupeur, assommé par la complexité d'un monde qu'il imaginait si simple, heurté par la violence du réel qui rattrape l'imaginaire insouciant dont il rêvait...

... vous voyez ce que je veux dire !

Le jeune auteur ne sent pas à la hauteur. Il referme le fichier, et va se coucher (comment ça il n'est que 15 heures ? Et alors, il fait bien ce qu'il veut, non ?).
Le temps passe. Il reçoit un mail de réponse de "La compagnie des Écrivains" qui se déclare prête à publier son roman pour la modique somme de 5000€, qui lui donnera le droit de disposer de 200 exemplaires de son livre qu'il pourra aller vendre au marché à bestiaux du coin si bon lui semble. Pour un supplément de 500€, un correcteur peut même travailler sur son livre, c'est vivement conseillé ! Et s'il le souhaite, à partir de 390€, on peut même lui fabriquer un site web auteur qui lui permettra de se faire connaître.
Il vient de toucher son argent de poche mensuel. Avec ce qui lui reste, il dispose de 80€.
Bon... Il en utilise 1,29 pour acheter un lot de douze paquets de kleenex et s'assoit sur l'offre de la compagnie des arnaqueurs d'écrivains (pas confortable comme coussin, c'est râpeux et ça picote.)
Angoissé, déprimé, la main tremblante, Hugues poursuit encore et toujours ses investigations. Il découvre que son premier roman fait 1.583.947 Signes Espaces Comprises. Qu'aucun éditeur n'est susceptible d'accepter un monstre pareil. Que d'après les lignes éditoriales de ceux qui acceptent de la Fantasy, la présence de soucoupes volantes dans son récit risque de poser quelques menus problèmes. Et que s'il espère vivre des recettes de ses romans, il y a de bonnes chances pour qu'il se fourre le doigt dans l'oeil jusqu'au trognon.
Je ne vous cacherai pas qu'à cet instant précis, Hugues a perdu une bonne partie de sa candeur, mais aussi de son enthousiasme. Mais...



Épilogue

Comme beaucoup d'auteurs amateurs, Hugues se confronte à la réalité de l'édition après avoir écrit son premier roman. C'est ballot, il faut bien le dire, parce que si on savait à l'avance ce qui nous attend, on s'y préparerait. Mais non. Ceci expliquant cela, 95% des premiers romans des auteurs que vous lisez ont essuyé refus sur refus. Parfois, ils ont été ensuite réécrits et accepté, mais surement pas sous leur forme originelle.
Pourtant, comme beaucoup d'auteurs amateurs, passé la phase de découragement, Hugues va tirer les enseignements de toutes ces choses indispensables qu'il vient d'apprendre. C'est un passionné, renoncer à écrire lui est impossible. Si vous lisez ces lignes et que vous n'êtes pas auteur, vous devez vous dire qu'on est plus givrés que des sapins de noël, nous les scribouillards. Je crois bien que vous avez raison ! C'est à la fois ce qui nous permet d'imaginer les histoires qu'on vous raconte et d'encaisser le genre de choc que Hugues vient de vivre sans renoncer.
D'ailleurs, le grand fan de King qu'il est va découvrir "Écriture, mémoires d'un métier" et se rendre compte que son idole a connu d'innombrables refus avant de réussir à vendre ses premières nouvelles. 
Il va donc s'entraîner, lire, écrire, travailler avec acharnement. Peut-être qu'un jour, ses nouvelles seront publiées dans quelque fanzine francophone. En tout cas, maintenant, il sait tout ce qu'il doit savoir pour accomplir son rêve : que son roman soit publié. Que le libraire de son quartier le mette en devanture. Qu'il puisse y obtenir une séance de dédicace. Et si un jour, grâce peut-être à des initiatives comme l'invasion des grenouilles, son roman traverse l'atlantique, qui sait si Stephen King ne le lira pas ? Allez, laissons-le rêver :)


*Je n'invente rien ! Allez sur leur site, vous constaterez par vous-même :) (je me suis permis de rebaptiser cet éditeur, car en réalité, je ne connais pas leurs tarifs, mais je ne dois pas être bien loin de la réalité.)
**Ouvrage ô combien précieux que vous trouverez ici.

3 commentaires:

  1. "Il y en a sur toutes les premières pages ! Est-il tombé sur une secte bizarre ? »

    J’ai bi ri avec tes deux articles ! :D

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  2. Réponses
    1. Ravi que ça t'aie plus, je me suis moi-même bien amusé en l'écrivant ;)

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