dimanche 3 avril 2016

Vivre de sa plume, la suite (partie 2/4)

Après l'interview d'Arnaud Codeville, jeune auteur indépendant, je vous propose un autre témoignage. Cette fois, il s'agit d'une auteure qui a toujours suivi le chemin traditionnel de l'édition. Elle va nous expliquer son parcours, ses choix et les raisons de ceux-ci. C'est quelqu'un que vous connaissez sûrement, au moins de nom, car elle a déjà de nombreux romans, en particulier jeunesse, à son actif. Elle est en outre très gentille et disponible. 
J'ai l'honneur et le plaisir de passer la parole à Nadia Coste :) 


            F. Ash - Bonjour Nadia, merci de m'accorder cette interview.

            N. Coste - Bonjour Francis, et merci de m’inviter chez toi !

            F. Ash  - Avec grand plaisir. Pour commencer, pourrais-tu te présenter, juste au cas où certains lecteur de ce modeste blog ne te connaitraient pas encore ?

            N. Coste - Je m’appelle donc Nadia Coste (jusque-là, tout va bien), j’ai 36 ans, 3 enfants, et j’écris des romans pour la jeunesse (et les adultes qui aiment en lire). J’ai longtemps fait partie du collectif CoCyclics (j’y suis beaucoup moins présente, mais je garde toujours un œil sur la mare (N.d.l.r : le forum cocyclics) car je reste une grenouille de cœur).



            F. Ash  - En Avril, tu vas publier "L'Empire des Auras" chez Le Seuil et, en mai, "Seuls les Alligators vous entendront crier" chez Scrineo. Si j'ai bien compté, ça te fera en tout 18 romans publiés chez divers éditeurs en à peine 5 ans. Comment fais-tu pour soutenir un tel rythme avec, en plus, ton travail, ta vie de famille et les nombreux déplacements que tu effectues pour les salons et interventions scolaires ?

            N. Coste - Alors, d’une part, les 4 tomes de Fedeylins étaient écrits avant que le premier soit publié. Ce qui fait que, pendant les 2 ans où les romans sortaient tous les 6 mois, j’ai eu le temps d’en écrire d’autres. En plus, j’ai triché avec des petits volumes pour les 8-12 ans (100 000 signes, c’est vite écrit, et vite corrigé). Ce qui fait que j’ai eu très vite de nombreux romans sur la table de dédicace !
            Mais le secret, c’est la régularité : deux heures par jour, tous les jours.
            Bon, d’accord, je m’accorde aussi quelques soirs de pause de temps en temps (je ne suis pas un robot).

            F. Ash  - J'imagine que, comme tout jeune auteur, tu as eu quelques difficultés à trouver un éditeur pour ton premier roman, le tome 1 des Fedeylins. À cette époque, as-tu pensé à t'autoédtier ? Pour quelle(s) raison(s) ?

            N. Coste - Effectivement, je dirais que j’ai galéré pendant 6 ans (il a quand même fallu 8 versions à mon premier tome pour convaincre – enfin ! – un éditeur). Ma limite mentale, c’était 12 versions (comme Tolstoï pour Guerre et Paix !).
            À force de refus, je me suis posé la question de l’autoédition, bien sûr, mais ma réponse a été très rapide sur ce sujet : non. Pourquoi ? Parce que j’ai besoin de cette validation d’un professionnel qui dira « oui, c’est un bon texte, je l’aime et j’ai envie de le défendre ». C’est important pour moi.
            Et je n’ai pas envie de m’occuper de toute la partie commerciale, démarcher les librairies, les salons, tout ça. C’est quand même beaucoup plus confortable d’avoir quelqu’un dont c’est le métier qui gère ça !
            Il y a aussi l’angoisse de laisser des fautes (l’orthographe a longtemps été un vrai problème pour moi, et même encore maintenant, quand je suis fatiguée, je laisse passer beaucoup de fautes sans les voir). Donc, si je m’autoéditais, il me faudrait les finances pour payer un correcteur professionnel !
            Actuellement, il m’arrive d’y penser pour certains textes indisponibles et impossibles à replacer (par exemple, sur ma série SpaceLeague, les tomes 7 et 8 sont écrits mais ne seront pas publiés pour cause de réorganisation de la maison d’édition. J’envisage de faire le nécessaire pour les mettre à disposition en téléchargement sur mon blog). La facilité avec laquelle on peut « fabriquer » un ebook enlève déjà cette barrière technique là.
             Dans tous les cas, je comprends tout à fait les auteurs qui choisissent de s’autoéditer (ceux qui aiment tout gérer de A à Z, par exemple), mais, dans mon cas, quand un roman est refusé, je préfère le mettre de côté et le reprendre autrement des années après, plutôt que le publier à tout prix en l’état. Quand je pense à « L’Empire des Auras », par exemple, c’est pratiquement mon second roman, celui que j’ai écrit tout de suite après les fedeylins… et pourtant il ne sort que maintenant ! Il a fallu du temps… mais toute l’attente et le travail ont débouché sur une publication au Seuil, donc, je considère que ça en valait la peine.



            F. Ash  -   Bravo pour ta patience ! On entend parfois dire que les auteurs de littérature jeunesse sont les plus mal rémunérés. Est-ce que tu as déjà reçu des propositions "indécentes" en termes de droits d'auteur ?

            N. Coste - AH AH AH ! Oui.
            La pire proposition devait être un pourcentage de… 1,5 %. Autant dire que j’ai refusé sans état d’âme.
            La Charte des Auteurs pour laJeunesse recommande de ne rien signer en dessous de 6% (ce qui est déjà beaucoup moins important qu’en littérature « de vieillesse » où le plancher est, je crois, de 10%). D’autant que ces 6% sont à se répartir entre auteur et illustrateur, si c’est le cas… donc, il n’est pas impossible de se retrouver avec 3% du prix de vente HT. Je vous laisse faire le calcul !
            Je gagne, selon les romans, entre 50 centimes et 1 € par exemplaire vendu… On est loin de la starisation actuelle où on a l’impression que les auteurs sont forcément riches.
            Bien sûr, selon le moment où on en est de sa carrière, on n’aborde pas les contrats de la même façon. On est plus à même de négocier, on sait ce sur quoi on est prêt à lâcher… et ce qu’on est prêt à accepter pour que le roman paraisse.
            J’avoue que je comprends les auteurs qui décident de passer par un agent, parce que ces négociations-là, ce n’est vraiment pas la partie la plus agréable du métier (et on n’est pas forcément formés pour !).
  
            F. Ash  -   Parmi tous les éditeurs avec qui tu as déjà travaillé, quelle(s) est(sont) ton(tes) meilleur(s) souvenir(s) ?

            N. Coste - Il y a, bien sûr, la force du tout premier « oui ». Ça, rien ne le remplacera jamais.
            Mais j’ai également un autre souvenir fort : lorsque mon tout premier roman a été imprimé, Xavier Décousus, qui a été mon premier éditeur, s’est rendu sur place, à l’imprimerie, pour vérifier que tout allait bien. Et il m’a appelé pour me faire écouter le bruit des machines en me disant : « c’est l’accouchement ». J’en ai eu les larmes aux yeux !

"l'accouchement" des Fedeylins.

            F. Ash  -   Cette année, tu es la marraine du salon Gresimaginaire. Quel effet ça fait ? Peux-tu nous expliquer comment s'est déroulé ce parrainage ?

            N. Coste - C’est une grande fierté ! Je n’imaginais pas que l’on penserait à moi (en tout cas, pas « si vite » car, effectivement, ma « carrière » plutôt récente, même si j’ai 18 romans à mon actif).
            Ça c’est fait tout naturellement : nous avons échangé avec Pascale Languille, l’organisatrice, au moment du salon des Aventuriales, en septembre dernier, et, une fois mes disponibilités vérifiées, c’était lancé !
            J’ai eu l’occasion de rencontrer des classes du Grésivaudan début mars, et j’en rencontre d’autres juste avant le salon. J’espère donner le goût des littératures de l’imaginaire aux plus jeunes, et les convaincre d’emmener leurs parents découvrir le salon !

            F. Ash  - Tu as déjà reçu en 2012 le Book d'Or du Grand Petit Prix sur Book en Stock pour le premier tome des Fedeylins, puis le prix "Trégor Ados" en 2013 pour le premier tome de ta trilogie "Les yeux de l'aigle". (Si j'en oublie, n'hésite pas à me le dire J ) L'an dernier, tu as déjà reçu deux pris pour Ascenseur vers le futur (le Prix Plume Jeunesse du Chapiteau du Livre et le Prix Jeunesse de Lire en Poche) et tu es nominée pour une foule d'autres prix avec "Le premier" et toujours "Ascenseur vers le futur". Quel effet ça fait ? Y a-t-il un prix littéraire en particulier que tu rêverais particulièrement de remporter un jour ?

            N. Coste - Être nominée, c’est une grande joie, et, dans les hauts et les bas du métier d’écrivain, ça fait vraiment partie des hauts ! Quand j’ai su que j’étais nominée pour le prix des Incorruptibles, par exemple, j’ai sauté partout ! Pour moi, être dans la sélection finale, c’est comme si j’avais gagné. Toute la visibilité à l’échelle nationale que ça peut m’apporter ne dépend pas du résultat final.
Alors, bien sûr, quand on m’annonce que c’est bien mon roman qui remporte un prix, il y a toujours un moment d’incrédulité. Quoi ? C’est bien vrai ? Des gens ont voté pour ce roman ?
On a beau essayer de dissocier le roman de soi-même, on ne peut pas vraiment y arriver : cette histoire fait partie de nous. Et que des gens affirment qu’ils aiment ce roman, c’est une vague d’amour qui nous submerge d’un coup.
            Pour répondre à ta question, je ne crois pas viser un prix littéraire en particulier (je n’écris pas pour avoir des prix !). Ça ne fait pas partie de mes buts ultimes… ni de mes objectifs de carrière. Si j’en remporte, j’en serais très heureuse, mais, sinon, tant pis, je continuerai mon petit bonhomme de chemin un peu plus à l’ombre.



            F. Ash  - Dans le cadre du prix des incorruptibles, en particulier, tu voyages beaucoup en ce moment. Pour celles et ceux qui n'en connaissent pas le principe, peux-tu expliquer comment fonctionne ce prix ?

            N. Coste - Le Prix des Incorruptibles, c’est le plus gros prix de littérature jeunesse en France (j’ai toujours tendance à comparer ça aux Césars, pour qu’on se rende compte de ce que ça fait d’être dans le 6 ou 7 nominés). Toutes les catégories confondues, il y a plus de 350 000 enfants qui votent !
            Les éditeurs envoient leurs romans au Prix des Incorruptibles, qui opère une première sélection d’une trentaine de romans par catégorie d’âge. Ensuite, des comités composés d’enseignants, documentalistes, ou bibliothécaires, lisent la présélection et retiennent 6 ou 7 romans qui forment la sélection finale.
            Pendant toute l’année scolaire, les enfants lisent les romans, peuvent jouer à des jeux en lien avec les histoires, les enseignants peuvent s’en servir de support pédagogique… et, dans le courant du mois de mai, chaque lecteur vote. Les résultats sont connus début juin.
            Du côté des auteurs, nous sommes sollicités (très) pour rencontrer des classes, ou répondre à leurs questions sous forme de correspondance électronique (c’est différent, et très sympa aussi). Chacun gère en fonction de ses disponibilités et ses envies le nombre de rencontres qu’il peut assurer…
            Je savais que c’était une grosse machine, mais je ne m’imaginais pas recevoir deux demandes de rencontres par jour pendant près de deux mois ! Même avec toute l’envie du monde, on ne peut pas tout faire. Il faut aussi apprendre à dire non…

            C’est une expérience incroyable, et j’essaye de la vivre à fond (en me disant que je ne le vivrais peut-être qu’une fois dans ma vie). Je me rends vraiment compte qu’il y a un avant et un après les Incos… dans le bon sens !



            F. Ash  - Tu as déjà participé à des débats lors de certains salons et des interventions scolaires. Sans aller jusqu'à sortir la calculette, peux-tu me dire à peu près ce que ça te rapporte au point de vue financier par rapport à la vente de tes romans ?

            N. Coste - Ce sont deux calculs très différents : pour les romans, on sait combien on touche comme a-valoir, par exemple, mais les droits, on ne les touche que plus d’un an après la sortie et on a toujours cette incertitude qui dépend du nombre de ventes… le point d’interrogation est important.
            Pour les rencontres, j’applique les tarifs de la Charte des Auteurs pour la Jeunesse (bien pratique quand on ne sait pas quels sont les usages). Une journée de rencontre « rapporte » aux alentours de 400 €.
            Là, pour Ascenseur Pour le Futur, entre les prix (dotés) et les rencontres, je crois que ces « revenus accessoires » correspondent à 5 ou 6 fois mon à-valoir !
            Pour en avoir un peu discuté autour de moi, parmi les auteurs jeunesse qui arrivent à vivre de leurs romans, beaucoup y parviennent grâce aux rencontres…

Nadia lors d'une de ses intervention en classe. 

            F. Ash  -  Est-ce qu'un jour, tu aimerais ne vivre que de ta plume ?

            N. Coste - Absolument !
            Je pense que l’idéal, c’est un mi-temps, qui me garantirait une stabilité financière (nécessaire pour les emprunts, par exemple), mais me dégagerait assez de temps pour écrire. Et puis, ça m’obligerait à garder un pied dans le monde réel !
           
            F. Ash  -  Merci beaucoup Nadia. Je te souhaite tout le succès possible pour tes nombreuses nominations et pour tes romans à paraître très bientôt.


            N. Coste - Merci Francis ! Plein de belles choses à toi aussi !

Vous pouvez retrouver Nadia sur son excellent blog et sur sa page facebook.
Si vous la croisez en salon, n'ayez pas peur d'elle. Je peux vous assurer qu'elle ne mord pas :) 



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Agnès Marot

3 commentaires:

  1. Une très belle interview. Et j'ai beau avoir suivi le parcours de Nadia depuis de longues années, j'ai appris des choses passionnantes, merci à vous deux. <3

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  2. Super, cette série d'interviews. Merci !

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  3. Super, cette série d'interviews. Merci !

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