samedi 19 mars 2016

Vivre de sa plume ?

Le salon du livre de Paris a au moins un mérite : il fait parler des auteurs et de leurs conditions de vie. Et le moins qu'on puisse dire, que ce soit à propos du SDL ou de la vie des hommes et femmes qui y exposent, c'est que ça ne vend pas du rêve.
Déjà, l'affiche. Faisons un petit jeu : selon vous, laquelle est le bonne ?

Oui, difficile de se prononcer, je sais :) 


En parlant de ce cher SDL, savez-vous qu'il facture le droit d'entrer à 12€ par personne et prohibe l'entrée en son sein de romans qui n'auraient pas été achetés sur place ?
Sisi, je vous promets que c'est vrai. Tout est dans leur FAQ, y compris une énorme faute d'orthographe.
Voyons ça de plus près, parce que c'est quand même drôle :

> Est-ce que je peux rentrer avec mes livres dans le Salon ? Si oui, dans quelles conditions ? 
Vos livres ne seront pas acceptés sur Livre Paris et devront donc être déposés au vestiaire à l'entrée.
(lequel vestiaire vous sera facturé 2€ par livre si j'en crois les témoignages de quelques téméraires qui y sont allés.)

> Je suis au chômage, y-a-t-il un tarif particulier pour les demandeurs d’emploi ?Il n’existe pas de tarif « Demandeur d’emploi ». Les seules gratuités ou tarifs réduits sont réservés aux jeunes, aux seniors et aux groupes scolaires. 
(t'es chômeur, donc tu n'as pas le temps de lire et, de toute façon, t'as pas une thune pour acheter les bouquins qu'on vend. Casse-toi ! )

> Je suis enseignant ; il y a quelques années, j’avais pu rentrer gratuitement grâce à mon Passeport éducation, pourquoi n’est-ce plus le cas ? 
Nous avions alors noué un partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale. Ce partenariat n’éyant pas été reconduit, vous ne pouvez plus accéder gratuitement au Salon avec votre Passeport. 
(En rouge ; la méga-faute de la mort qui fait pas tache du tout. Moralité : fais pas chier et casque ! )

Pour les menus détails de l'organisation, j'ai également ouï dire qu'il n'est pas permis de sortir de la prison... Euh... Du salon plus de 2 fois par jour. Sinon quoi, d'ailleurs ? Il faut casquer 12€ pour avoir le droit de retourner à son stand ? Enfin, si vous voulez un avis autorisé sur la question, je vous renvoie au blog de Cristina Rodriguez et en particulier à cet article.
Je pense que ce n'est pas demain la veille que j'y mettrai les pieds. Même si un jour on m'y invite en tant qu'auteur, d'ailleurs ! 

Bref, revenons aux auteurs. 

Si j'en crois ce que j'ai entendu sur M6 à ce sujet, seuls 150 auteurs en France ne vivraient que de leur plume. 150 sur les 5000 qui sont soumis à l'AGESSA. Et je ne parle pas ici des autres, ceux qui gagnent moins des 8650€ de droits d'auteur et qui sont encore bien plus nombreux.

Vivre de sa plume ? Pas dans un pays où les droits d'auteur sont souvent très réduits. Parfois 4% dans la littérature jeunesse, toujours frappée par une sorte de syndrome de la femme au foyer qui écrit pour ses enfants et se fait publier dans la foulée mais qui, du coup, n'a pas besoin qu'on la rémunère. Oui, nous sommes bien au XXIème siècle, mais je comprends que vous vous soyez posé la question. Des claques qui se perdent, dites-vous ? Oh ! Si peu...


En France, la culture est devenue un secteur secondaire, qui n'intéresse plus du tout les politiques. Enfin sauf quand ils pondent des bouquins pour raconter qu'ils se sont fourvoyés pendant leur dernier mandat, qu'ils s'en excusent, mais qu'il faudra quand même voter pour eux. La littérature ? Qui en a quoi que ce soit à faire ? De toute façon, les vrais grands auteurs adulés par les bobos, ces Hugo, Zola, Ronsard, Verlaine et autres, sont morts. Leurs œuvres sont libres de droit. Alors on s'en fout, pas vrai ?
Oui, nous sommes toujours au XXIème siècle. Je vous préviendrai si ça change.
Car oui, notre pays a connu le siècle des lumières ! Notre pays se gargarise de sa riche littérature qui a fait le tour du monde. Notre pays est, forcément, le pays des écrivains, des penseurs, des génies de la plume. Et puis d'ailleurs, pour la plupart, ces grands écrivains crevaient de faim, écrivaient dans des conditions bien pires qu'aujourd'hui. Ça ne les a pas empêchés d'être auréolés d'une gloire immortelle. C'est sans doute ça, le destin de l'écrivain. Paria de son vivant, mais la postérité lui rendra raison.
Et pour les femmes écrivains, c'est encore mieux ! 
Déjà, grâce à Richelieu, les femmes sont des auteurs. Pas des auteurEs, mais des auteurs. Macho, le cardinal ? Si peu ! 
Ensuite, si une femme a le temps d'écrire des romans, c'est qu'elle ne travaille pas. Sinon comment ferait-elle, puisqu'elle doit faire les courses, la popote, le ménage et s'occuper des enfants ? Non, pas concevable. Si elle peut se permettre d'écrire, c'est qu'elle est une femme au foyer. Donc, que son mari gagne assez d'argent pour le lui permettre. Dès lors, on va la payer pour le principe et parce qu'on n'a pas le choix, mais pas trop. 4% si elle écrit de la littérature jeunesse. 6% pour le reste. Quoi ? Un à-valoir ? Oh, maman, t'as vu la vierge ?
Sisi , XXIème siècle. Tout pareil que depuis le début.

Fort heureusement, si les pratiques que je viens de vous décrire existent et sont largement répandues, il y a des exceptions. Oui, respirez, ça vous fera du bien. Certains éditeurs ont le respect de l'auteur, ne font pas de distinction entre les femmes et les hommes de plume, estiment que le travail mérite salaire correct et à-valoir.



Vous connaissez peut-être des auteures et auteurs qui ont la chance de travailler avec ce genre d'éditeur. Notez le nom de ces maisons et soumettez-leur votre prochain manuscrit.
Ce qui n'empêche que, pour entrer dans le microcosme des 150 auteurs qui ne vivent que de leur plume, il va vous falloir plus qu'un bon éditeur. Quelque chose qui ne se fabrique pas, ni ne se décrète. La chance !
Ce qui sépare un excellent roman d'un excellent roman à succès tient souvent au facteur X. J'irais jusqu'à dire que certains romans a succès ne sont pas d'excellents romans. C'est un autre débat, mais disons que l'excellence n'est pas toujours vecteur de succès en librairie.
Dès lors, si vous attendiez de ma part la clé magique qui ouvre la voie vers les 100.000 exemplaires vendus, je suis au regret de vous informer que je ne la détiens pas. Que personne ne la détient, pas même les auteurs comme Fred Vargas, Amélie Nothomb ou Michel Houellebecq qui atteignent et dépassent ce cap à chaque nouvelle sortie. Il semblerait simplement que, une fois que vous l'avez fait, ça devient plus facile la fois suivante. Parce que votre nom s'ancre dans la mémoire des lecteurs, devenus nombreux et qu'on parle de vous dans la presse généraliste.

Mais voyons les choses comme elles sont.
Dans beaucoup de contrats littéraires existe une clause qui veut que, plus vous vendez, plus votre pourcentage sur ces ventes augmente. Pour un petit nouveau, c'est souvent de 6 à 10%, pour un auteur un peu plus expérimenté, de 8 à 12%. Ces chiffres s'entendent en pourcentage du prix de vente hors taxe de votre roman. Cela ne concerne pas les stars de la littérature ou les ex-compagnes de président de la république. Mais vous n'appartenez sans doute pas à une de ces catégories, n'est-ce pas ?

Tirage initial : 200.000 exemplaires. 

Pour mieux comprendre ce qui vous attend, je vous renvoie à l'excellent article des éditions Humanis.
Vous l'avez lu ? Asseyez-vous, buvez un chocolat chaud, ça va passer.
Oui, 1% de chance de vendre plus de 2000 exemplaires de votre roman. Il vous en faudrait 25 à 30000 pour en tirer un revenu équivalent au salaire médian en France qui est de 2100€ net par mois. En sachant que, pour vendre autant, il vous faudra un éditeur qui travaille avec un gros distributeur. Donc votre chance de voir votre manuscrit accepté, si vous êtes un petit nouveau, sera de 2 à 5%

Vous n'aimez pas ou plus votre job ? Vous pensiez pouvoir le remplacer par le métier d'écrivain ?
J'ai bien peur que ce soit un peu compliqué. En revanche, au fil des années et des romans, vous allez vous faire un petit nom, bâtir un lectorat, vous assurer des revenus réguliers et une plus grand facilité à décrocher des contrats. Peut-être gagnerez-vous dans les 5000€ par an. Peut-être de quoi négocier avec votre employeur la possibilité de ne travailler qu'à 90 ou 80%.

Vivre de sa plume en France ? Dans vos rêves !

6 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour cet article et ces liens très pertinents (+ la faute !:)) ) et je me permettrait de rajouter qu'en France on considère l'écriture...comme un loisir. Tout est dit.
    Il est temps de faire tomber les œillères.
    A bientot
    _M_

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    1. Bien d'accord avec toi, _M_. Tout le monde a le droit de vivre de l'industrie du livre, sauf les auteurs...

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  2. Merci pour l'article !

    Il y a un autre problème, je pense, pour vivre de sa plume: il faut soit pondre un un mega best-seller (euh, comment dire, en débutant c'est quasi-impossible, surtout dans l'imaginaire) soit écrire beaucoup, pour engager un cercle vertueux de revenus.

    Mais pour écrire beaucoup, il faut du temps. Du temps que l'écriture en tant qu'activité secondaire ne permet pas. Mais pour en faire une activité principale, il faut vivre (et donc de l'argent).

    Bref, c'est un peu le casse-tête. Une seule chose est sûre cependant: il y a très peu de chance de réussir en se lançant, mais il n'y a aucune chance de réussir en ne se lançant pas...

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    1. C'est très vrai, Dorian. Reste le plaisir d'écrire, d'être lu, de voir son roman en librairie. Même si on n'en tire que d'humbles revenus, il paraît que cette joie-là n'a pas de prix ;)

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  3. Merci pour cet article éclairant. Je suis contente en particulier d'avoir récupéré ce chiffre de 150 auteurs vivant de leur plume en France (et faut voir dans quelles conditions...).
    N'empêche, 100% de ceux qui ont gagné au loto ont commencé par jouer, n'est-ce pas ?

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    1. (hum... Mes excuses les plus plates pour cette réponse outrancièrement tardive !)
      Je suis d'accord, 100% des gagnants, quel que soit le jeu, ont commencé par tenter leur chance. Le but de cet article et des séquelles qui ont suivi n'est pas de dissuader, de décourager ou quoi que ce soit. Mais bon nombre d'apprentis auteurs, en train d'écrire leur première trilogie, pleins d'enthousiasme et de rêves dans la tête, n'ont pas ces éléments à l'esprit. Je ne les avais pas à l'esprit voici quelques années. J'ai découvert, j'ai appris et il m'a semblé que le moment était venu pour moi de transmettre ce que je sais maintenant ;)

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